Il y a de ces weekends où l’on est pris de flemmite aigüe, à ne pas remuer de la journée… Affalé dans un fauteuil et l’œil fixé sur un écran, à suivre des feuilletons plus ou moins superficiels ou à faire face à son meilleur score sur un énième jeu smartphone ; à chacun son passe-temps. Parfois, sans vraiment en prendre tout à fait conscience, on relève machinalement la tête et on fixe un instant, distraitement, la fenêtre avant de revenir à l’écran…
Mais ce coup-ci, le regard est capté : derrière la vitre, un mouvement. Un merle est sur le gazon. Il sautille de ci, gambade de là, et semble lui aussi très absorbé, le regard rivé sur le sol, à chercher de quoi se mettre sous le bec. A intervalles réguliers, il se redresse, se fige un instant, le regard alerte. Puis il se remet en quête de sa nourriture. L’élégant oiseau semble avoir des hallucinations: on a beau ne détecter aucun mouvement, aucun changement autour de lui; toutes les quelques secondes il s’interrompt pour scruter les alentours. Mais qu’est-ce qui peut bien capter son attention ?
Différentes postures pour une attention partagée entre recherche de nourriture et vigilance
S’il vous aperçoit faire un mouvement derrière la fenêtre alors qu’il a le bec au sol, il se redresse et observe. Si c’est pendant sa surveillance, il y a de grandes chances que ça le fasse décamper. Et s’il a un doute, les pauses sont plus longues, et plus rapprochées. En étant vigilant, on l’aura deviné, il améliore ses chances de détecter des prédateurs avant qu’il ne soit trop tard. Attention toutefois : faut-il croire qu’il se fasse la remarque, en son for intérieur, “il est maintenant grand temps de relever la tête, sacrebleu! Un carnassier pourrait être en train de me guetter”? Rien ne permet de l’affirmer. Est-ce qu’il a dans sa tête de piaf, au moment où il adopte sa posture de vigilance, la moindre parcelle de conscience qu’il pourrait éventuellement y avoir un danger rôdant dans les environs ? Ce n’est pas avec ces simples observations qu’on aura une réponse (après tout, à quoi pensiez-vous vous-même en jetant ce coup d’œil distrait à la fenêtre?). Par contre, ce qui est sûr (et ce n’est pas pareil!), c’est que le fait de relever la tête peut lui permettre de détecter le danger plus tôt, si danger il y a. On parle alors de fonction du comportement, sans préjuger du mécanisme cognitif. Quelle que soit la façon dont ça marche dans sa cervelle de merle, c’est bien foutu!
Mécanismes comportementaux: du merle-animal machine…
Le merle, comme la plupart des bestioles (y compris nous), collecte et enregistre des informations sans arrêts. Vous pourrez observer la plupart des animaux adopter des postures régulières de vigilance. On touche avec ce comportement de vigilance, à une routine essentielle pour une multitude de créatures, à un comportement clé. Le temps que le merle passe à surveiller, c’est du temps qu’il ne passe pas à s’occuper de sa nourriture ! Un merle sage est donc un merle qui sait gérer son emploi du temps de manière efficace. Trop de zèle et vous voilà affamé. Pas assez et vous risquez de ne plus jamais avoir faim. A l’aide des mathématiques et de quelques hypothèses sur l’environnement, il est possible de calculer une fréquence optimale de relevé de tête. Les scientifiques (en « écologie comportementale ») cherchent alors à savoir si oui ou non les animaux s’y conforment: se comportent-ils de manière « optimale » (d’après les hypothèses du modèle)?
… Au merle conscient, en course pour un Nobel
D’ailleurs il n’y a pas forcément que les prédateurs à surveiller. Imaginez-vous, pendant la saison des amours, un intrus, tout de noir vêtu, le bec jaune vif : le tenant des lieux ne l’entendra pas ainsi, et pourrait être prompt à engager un assaut. Que ce soit la nourriture ou la partenaire, c’est chasse gardée. Il faut donc avoir un œil sur le territoire, et quand on est chez les autres, sur le propriétaire. Et lorsque, hors-saison, les sentiments de propriétés sont moins exacerbés, et que les congénères se tolèrent un peu plus, observer les voisins pourrait même aider, pourquoi pas, à trouver de la nourriture un peu plus vite ! On aborde ici tout un tas d’autres questions centrales dans le comportement animal. Mais attention, c’est bien là encore de fonctions dont on parle, pas forcément d’objectifs conscients à l’esprit de ces bêtes.
Le grand jeu de la survie: les paris sont ouverts!
Dans tous ces cas, il paraît raisonnable de supposer que pour bien se renseigner sur ce qui se passe autour, plutôt que de rester la tête dans le guidon, il est utile d’avoir le nez en l’air de temps à autres!
* Pour allouer son attention à un champ plus vaste. Néanmoins les choses ne sont pas toujours aussi simples. Par exemple certains oiseaux ont des yeux et un cerveau ainsi fait qu’elles sont capables de simultanément chercher de la nourriture au sol et de surveiller le ciel (articles à venir)…
Ces beaux merles noirs aux aguets ont bien l’air d’être sur leur garde dans la pelouse verte. En scrutant les environs, ils semblent même écouter attentivement en tournant la tête. A bientôt pour de prochains épisodes.
Merci pour ce commentaire,c’est une bonne remarque! La vue n’est pas seule impliquée, et l’ouïe en particulier peut être importante, même pour la détection d’une menace. En témoignent par exemple les réactions des oiseaux aux « cris d’alarme » d’autres individus (cri très caractéristique et fréquemment entendu chez le merle: http://www.xeno-canto.org/145631).