Chasses nocturnes
La nuit était enfin tombée, mais au 18 impasse du Moulin la chaleur torride de la journée s’attardait encore sur la terrasse, quand un mystérieux visiteur apparut aux carreaux de la porte d’entrée… La stupeur s’empara momentanément des occupants des lieux. Quel pouvait donc être l’objet de cette visite impromptue? Et qui était cette étrange créature?Passé ces brefs instants de perplexité, on s’organisa dans la maison: ne prenant pas le risque d’effrayer le timide arrivant en lui ouvrant la porte, Julien fit promptement le tour de la propriété pour lui faire révéler son identité. Il s’agissait d’un représentant de l’infra-ordre des Geckos: sa pupille verticale, ses doigts aux extrémités renflées ne laissaient aucune erreur possible… Entre-temps l’individu s’était déplacé, et faisait désormais crânement démonstration de ses prouesses d’adhérence et d’escalade, en trônant fièrement la tête à l’envers, fixé au plafond de l’encadrure, le corps collé à la paroi. Son nom exact ne faisait plus guère de doutes, peu de Geckos vivaient dans la région, encore moins osaient sortir ainsi à découvert, exposés aux regards.
L’ultime confirmation vint quand Mathieu alluma l’ampoule du vestibule d’entrée: les rangées uniques de lamelles le long de chacun des doigts désignaient le visiteur comme Tarentola mauretanica, plus connu localement comme la Tarente de Mauretanie, ou le Gecko des murs. Ces lamelles, différemment organisées chez ses cousines Hemidactylus turcicus et Euleptes europaea, les derniers membres des Geckos en France, avaient peu à peu dévoilé leurs secrets aux scientifiques (voir ici un de leurs rapports au grand public). Elles étaient la clé de la faculté des Geckos à agripper la moindre paroi, même la plus lisse. L’astuce véritable se dérobaient aux yeux les plus perçants, car elle impliquait des structure si petites que même les microscopes classiques peinaient à les mettre en évidence. L’inconnu ayant finalement été reconnu, restait encore pour Mathieu et Julien à comprendre ce qu’il venait chercher ici… La solution semblait liée à la lumière émise par la lampe du porche: l’individu ne s’en éloignait guère tant qu’elle restait allumée. Finalement les circonstances apportèrent bien vite la réponse aux observateurs curieux.
Une autre créature avait été attirée par la lumière, et avait captée toute l’attention de la Tarente: un papillon nocturne. Un bombyx du chêne (Lasiocampa quercus) pour être précis, qui venait de se poser à son tour sur la porte. Le Gecko se mit alors à l’affut, s’approchant furtivement du lépidoptère, alternant pas précautionneux et courses plus précipitées, jusqu’à finir à quelques centimètres de sa cible.Alors le Bombyx commença à deployer ses ailes, et à les agiter en direction du gecko. Manœuvre d’intimidation, leurre tirant partie du « faux oeil » blanc cerclé de noir, ou bien encore autre chose? La tarente se jeta sur le papillon, mais celui-ci échappa de justesse à son sort, laissant le gecko dépité. Tout était à refaire.Le calme revint pour les habitants du 18 impasse du moulin. On avait compris l’objet de cette visite: si la tarente venait à la vitre, sous la lampe, c’était pour tirer profit de la concentration des insectes nocturnes attirés par la lumière. Une adaptation de l’espèce aux nouvelles conditions imposées par l’Homme somme toute. Chacun retourna donc paisiblement à ses occupations. Mais restait encore un mystère non résolu: qu’était venu chercher là le papillon, hormis une promesse de mort? Nous y reviendrons peut-être prochainement sur le Saule…
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