La piafologie des yeux fermés (I)
Il est cinq heures du matin. Enfin je crois, parce que cela fait deux fois que j’éteins mon réveil qui sonne désespérément dans le vide. Je fais quelques pas dans le brouillard jusqu’à la cafetière, puis encore quelques-uns dans le noir jusqu’à ma voiture. Direction: un sommet de Chartreuse dont le choix occupera mes pensées jusqu’à l’arrivée au parking. Arrivé sur place, quelques rayons de lumière commencent à percer et me permettent de m’équiper. Je commence à peine à émerger, mais tout le monde est déjà en place pour le concert.
Commençons à monter le chemin, large, boueux et irrégulier, en regardant mes pieds et les pierres sur lesquelles je les pose. Certains comparent l’expérience de la marche en forêt à celle de marcher dans le brouillard. La perception est réduite et il est impossible de voir bien plus loin que les quelques arbres devant vous. Hormis l’ouïe, rien ne permet de percevoir à distance.
En bas dans la forêt, un pic noir lance son cri. Quelques mésanges piaillent et chantent dans les jeunes sapins en bordure de chemin. Tout deux commencent leur période de reproduction. Nous sommes en mars. L’année passée, le peu de neige aurait pu avancer cette date à février. Quelques cris de chocards sont poussés et signalent une falaise proche quoiqu’invisible.
Depuis que j’arpente les forêts de Chartreuse, j’ai réalisé l’importance des chants d’oiseaux dans des milieux fermés où le regard ne porte qu’à quelques mètres. Ils se succèdent tout au long de l’année, au fil des départs et des arrivées : il suffit de tendre l’oreille pour entendre ce qu’il se raconte en forêt ou sur les crêtes. Et si on faisait une petite balade ?
Ouvrons nos oreilles en hiver. Le premier contact se fait bien souvent avec un grand corbeau qui pousse son croa caractéristique: rauque, court, fonctionnel. Bienvenue en montagne. Malgré les sapins, de petits piaillements sont faciles à percevoir. On peut entendre quelques cris de mésanges, ou encore les sifflements tristes des Bouvreuils venus du Nord. Ils sont présents toute l’année, mais leurs effectifs sont renforcés à l’automne par des visiteurs venus passer l’hiver dans des massifs plus cléments. Pour tout le monde, c’est en effet une période de survie.
Les oiseaux sont peu loquaces en hiver. C’est la période des cris de dialogue, de contact, courts et souvent simples. Les plus bruyants seront peut-être les chocards, heureux de communiquer à leurs congénères la présence d’une table généreuse.
Tout cela change au printemps avec l’arrivée des chants dans le paysage sonore. Par rapport aux cris, ils sont souvent plus longs, complexes, répétés inlassablement pour signifier une présence sur un territoire. Il existe évidemment un très large continuum entre le champ complexe du rossignol et le cri piaillé discret du rougegorge mais clairement, le printemps fait pencher le paysage sonore vers les premiers.
Prenez le pinson par exemple, assez discret en toute saison, il sera un des actifs du printemps, à lancer sa trille éclatante bien caché depuis une branche de hêtre. Même paradoxe chez le pic noir: souvent invisible, son chant nuptial explosif (« sauvage », dit le bouquin) porte a plusieurs kilomètres. D’autres s’embêtent moins et montent au plus haut pour donner tout ce qu’ils ont. C’est l’occasion de voir monter les poules aux arbres : les tétras, des volatiles discrets lors d’autres saisons, sont en effet beaucoup plus visibles lorsqu’ils poussent leurs glouglous à la pointe des sapins.
Tout ce beau monde est en place aux aurores pour rendre au printemps son attribut le plus caractéristique: il est impossible de dormir après sept heures. Alors couchons-nous tôt et attendons la suite.
Sources des chants:
Hé, c’est vraiment très intéressant, surtout avec les exemples et sons concrets ! Continue, on attend la suite 🙂
trop cool les chants ! à écouter et ré-écouter !