Plantes phœnix

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Un rideau de flamme poussé par le vent en Sicile.

Depuis le début de la matinée un épais panache de fumée s’élève au loin dans le ciel. La distance me séparant de l’incendie est difficile à estimer, la colline d’en face masque en grande partie la visibilité vers le sud. Quoiqu’il en soit, les va-et-vient incessants des canadairs qui bourdonnent au-dessus de ma tête comme des insectes n’ont rien de rassurant…. Jusqu’à présent, le vent m’est favorable mais il est impossible de prévoir comment la situation va évoluer. Difficile de se concentrer sur ses observations dans de telles circonstances. La garrigue autour de moi ne demande qu’à s’enflammer à la moindre braise incandescente qu’une brise capricieuse ramènerait. Subitement je relève la tête. Il y a quelques minutes encore la fumée semblait lointaine mais à présent le panache semble avoir triplé de volume. Le feu ne doit pas être éloigné de plus de 2 kilomètres maintenant. Il est plus que temps de ramasser mes cliques et mes claques et de déguerpir sans tarder !

Un peu plus tard, bien à l’abri depuis un belvédère surplombant de loin l’incendie je suis plus à mon aise. Le spectacle de ce mur de flamme progressant au pas de course est réellement fascinant. Les canadairs ont beau déverser des trombes d’eaux rien n’y fait, le feu continue son chemin, attisé par le vent. Je pense aux milliers d’hectares de forêts qui partent en fumée chaque été sur tout le pourtour de la Méditerranée. Pourquoi les incendies sont-ils si fréquents dans cette région ? A vrai dire pour la même raison qui pousse des milliers de touristes à venir passer leurs vacances dans le sud malgré le littoral bétonné et les plages surpeuplées. Alors que l’été est la saison la plus pluvieuse dans la moitié nord de la France, en Méditerranée elle est caractérisée par une absence presque totale de pluie. C’est très bien pour le bronzage des vacanciers mais pour la végétation, le résultat est une sécheresse estivale extrême et par la même une très grande inflammabilité.

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Malgré les efforts des canadairs, le feu progresse toujours.

Quelques jours plus tard je me rends sur les lieux de l’incendie. Difficile d’imaginer un paysage plus désolé. Une vallée entière a brûlé. Une odeur âcre de bois calciné s’échappe du sol fraîchement détrempé par un orage. Chose curieuse, çà et là quelques minuscules îlots de verdure ont miraculeusement échappé aux flammes. Pour autant, séchez vos larmes: malgré l’impression de destruction irrémédiable qu’évoque un tel spectacle, certaines plantes nous réservent quelques surprises… En effet la végétation méditerranéenne s’est adaptée depuis longtemps au feu.

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La vallée entière a brûlé.

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Étonnamment certains patchs ont miraculeusement échappé aux flammes.

Un des exemples les plus célèbres d’adaptation aux incendies est celui du chêne liège (Quercus suber). Grâce à son écorce épaisse (dont on fait par ailleurs des bouchons), il est capable de résister à des températures très élevées !

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Le chêne liège (Quercus suber), dont on voit un tronc au premier plan, est célèbre pour sa très grande résistance au feu.

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Son écorce très épaisse est utilisée pour faire des bouchons mais lui procure aussi une protection extrêmement efficace contre les flammes.

Mais il n’est pas le seul dans ce cas, de très nombreuses plantes méditerranéennes sont capables de survivre aux incendies. J’examine les arbres situés autour de moi : chênes verts (Quercus ilex), chênes pubescents (Quercus pubescens), oliviers (Olea europea),… Aucun d’eux n’est mort. Leurs feuilles sont calcinées et leur écorce est un peu noircie mais en dessous les tissus vitaux sont intacts. Ils reviendront bientôt à la vie comme le phœnix qui renaît de ses cendres.

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Un bosquet d’oliviers (Olea europea) et de chênes verts (Quercus ilex) calcinés. Malgré les apparences ces arbres ne sont pas mort.

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Seules les feuilles de ce chêne pubescent (Quercus pubescens) sont mortes. Mais elles seront bientôt remplacées par de nouvelles.

L’examen d’une parcelle qui a brûlé il y a quelques années à peine me le confirme. Bien que tous les arbres aient été noircis par le feu, ils sont tous à présent en parfaite santé. Quelques rares troncs sans feuilles ont tout de même succombé aux flammes mais l’arbre en lui-même n’est pas mort. De nouvelles tiges ont repoussé depuis leurs bases. On dit dans ce cas qu’ils ont rejeté de souche.

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Cet arbuste de l’espèce Anagyris foetida a eu son tronc noirci par un incendie, pourtant à présent il se porte à merveille.

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Les branches de ce térébinthe (Pistacia terebinthus) n’ont pas résisté à l’incendie mais il n’est pas mort pour autant. Les nombreuses nouvelles branches repoussant depuis la base l’attestent.

Une observation plus surprenante encore : cette capacité de résistance au feu n’est pas propre aux arbres. Même des buissons comme la bruyère multiflore ou des herbes comme la grande graminée Ampelodesmos mauritanicus sont capables de rejeter de souche après un incendie.

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Une bruyère multiflore (Erica multiflora) qui rejette de souche après avoir été brûlée.

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La graminée Ampelodesmos mauritanicus, elle aussi est capable de rejeter de souche grâce à ces tiges souterraines que l’on aperçoit ici dans le coin inférieur gauche de la photo.

Les incendies ne représentent pas un problème en eux-même pour la végétation Méditerranéenne. Ils font partie intégrante de la dynamique naturelle de ces écosystèmes qu’ils peuvent même contribuer à enrichir. Le feu devient vraiment destructeur lorsqu’il est trop intense et surtout trop fréquent. Lorsque le temps qui sépare des incendies successifs est trop court (quelques années à peine) alors même les plantes les mieux adaptées peuvent disparaitre. Cela est très bien expliqué par les écologues dans un cadre plus général. Les perturbations en tout genre qui affectent les écosystèmes (incendies, tempêtes, défrichages,…) favorisent la biodiversité en créant des conditions plus hétérogènes. Cependant si elles deviennent trop fréquentes, alors elles ne permettent plus aux espèces qui peuplent le milieu de récupérer correctement et alors elles provoquent une diminution de la diversité. Comme le dit l’adage : « Tout est poison, l’important c’est la dose ! »

Le mot de la fin : Qu’on se le dise malgré tout, les plantes méditerranéennes sont des dures à cuire !

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