Tabloïds naturalistes
On me faisait remarquer il y a peu que la manie d’identifier tout ce qui bouge fait parfois perdre la magie de la rencontre sauvage…
Pas besoin de nommer pour apprécier? Et pourtant, pourquoi se priver du plaisir éprouvé lorsque l’on parvient à mettre un nom sur ce qui nous entoure? Un plaisir à mi-chemin entre la fierté de la réussite et la joie futile du collectionneur. Un plaisir qui souvent aussi s’apparente un peu à celui du lecteur de presse à sensation.
Cette dualité chez le naturaliste, cette double influence, la connaissance d’un côté, la sensibilité de l’autre, chacun place le curseur où il le voudra, bien entendu. Ici, au saule, on essaie de jongler entre les deux pour mieux les marier. Parce qu’à vrai dire, ce n’est pas qu’une histoire de fierté.
Les pique niqueurs qui partageaient avec nous le sommet du Pic Saint Loup (près de Montpellier) lors de notre découverte de ces oiseaux très coopératifs appréciaient eux aussi de voir évoluer tout proches des individus très peu farouches. Ont-ils pour autant réalisé que se trouvaient là deux espèces bien différentes (photos ci-dessus)? A vrai dire, elles ne se ressemblent pas tant que ça, c’est donc fort possible. Mais qu’est-ce que cela peut bien faire de toute façon?
C’est que l’une est très commune, vous la connaissez sûrement: le rouge-gorge. L’autre n’est censée se rencontrer qu’en haute montagne. Le guide dit au delà de 1500 mètres. Alors moi quand je la vois là, à peine à 700 mètres d’altitude, et bien je me dis que j’ai de la chance de l’avoir rencontrée*. C’est une très agréable surprise! Et en plus il se laisse tirer le portrait. Ce qui ne m’empêche d’ailleurs pas de photographier son compère le rouge-gorge, dont les tons se marient fort bien avec les lichens couleur de rouille sur la roche calcaire.
Ces quelques infos que je trimbale avec moi pendant mes balades, elles sont en partie là pour créer des premières fois, pour mieux apprécier l’unicité de chaque rencontre, vive la (bio)diversité! Elles déclenchent également toutes sortes de réflexions.
Sur la photo ci-dessus vous observerez un oiseau qui vous semblera, ou non, très semblable au précédent, hormis qu’il n’est visiblement pas dans le même environnement. De fait, les deux espèces partagent la même page du guide (voir la photo d’ouverture), parce qu’elles sont proches parentes. Aurais-je été capable de remarquer cela en n’ayant jamais consulté mon bouquin? J’en doute. Comment remarquer ce dont on ignore l’existence? Le guide vient pointer pour vous quelques détails saillants. Il est là pour vous aider à dégager l’important du reste. Il vous donne surtout un aperçu des variations qu’il est possible de rencontrer. C’est incroyable tous ces détails formidables qui se révèlent à vous une fois le regard éduqué! Pourquoi ces subtiles différences de couleur entre les 2 espèces? Pourquoi, alors qu’elles semblent si similaires, l’une reste inféodée à ses montagnes, tandis que l’autre nous rend fréquemment visite dans nos parcs et jardins?
Le risque, c’est que votre regard éduqué devienne formaté, que vous ne voyiez plus que ce que vous connaissez déjà. Ainsi, trop souvent je me repose sur mes lauriers après avoir obtenu le nom de l’espèce: Accenteur alpin. Rouge-gorge. Accenteur mouchet. Et pourtant… Chez l’Homme même les vrais jumeaux ne sont pas identiques! Combien de nuances ai-je manquées de la sorte? Qu’y avait-il à voir d’intéressant sur ces lichens que j’ai dédaignés? J’attends vos histoires…
* Évidemment tout est relatif: il s’avère que cette espèce, comme d’autres, descend régulièrement de ses contreforts pendant l’hiver!
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