La géopolitique des champignons

La guerre des champigons

Rien de tel qu’une promenade en forêt pour oublier un instant que le reste du monde existe, pour fuir un peu l’actualité déprimante. Les bras de fer entre super-puissances, les pays qui se déchirent, les disputes frontalières, les guerre de l’eau ou du pétrole, tout cela parait bien loin à l’ombre des arbres et pourtant l’intrigue est bel et bien au rendez-vous… En effet, sur certains morceaux de bois pourris il est possible d’observer des lignes noires sinueuses qui serpentent à leur surface comme les frontières d’une carte politique. Ressemblance fortuite ? Comment s’expliquent ces motifs étranges ?

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zones mélanisées dessinant une carte géopolitique

Nous avons déjà vu que le bois mort constituait une véritable manne pour les champignons capables de digérer la lignine qui l’imprègne. Mais qui dit ressources dit partage et conflits. Malgré l’abondance de matières premières et leur monopole, les champignons lignivores tels des requins de la finance se disputent chaque centimètre carré de bois mort. Lorsque les filaments d’un champignon rencontrent, en explorant le bois, les filaments d’un concurrent de la même espèce ou non, celui-ci sonne le branle-bas de combat. Il accumule dans la zone frontalière entre son mycélium et celui de l’intrus de la mélanine pour former une barrière étanche à travers laquelle rien ne passe, un véritable rideau de fer. Les filaments, les nutriments, l’eau, rien ne rentre, rien ne sort, chacun chez soi et les moutons seront bien gardés.

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Des zones mélanisées sur du bois en décomposition

Vous le voyez, la territorialité n’est pas l’apanage exclusif des animaux. L’analogie entre ces zones noires et une carte politique n’est pas une simple métaphore. Ces zones mélanisées délimitent bien des territoires au sein desquels des individus s’octroient l’exclusivité de l’exploitation des ressources.

Pourtant, aussi gloutons soient-ils, les champignons lignivores font parfois preuve d’altruisme. Mais attention pas avec n’importe qui !! Lorsqu’un champignon rencontre le mycélium d’un autre individu de la même espèce l’isolationnisme n’est pas une fatalité. Si celui-ci est un proche parent (s’il est génétiquement proche) alors les filaments pourront se mélanger et même fusionner. Les deux champignons vont alors coopérer pour exploiter la ressource ensemble. Ce type de mécanisme favorisant la coopération entre individus apparentés est appelé par les biologistes sélection de parentèle.

Finalement la forêt n’est pas le paradis idyllique des promenades que l’on s’imagine. Sous nos yeux, de manière imperceptible pour qui n’est pas attentif, les champignons se livrent à des luttes intestines pour le contrôle de l’exploitation du bois mort et sont par la même occasion des acteurs majeurs des cycles de la matière.

Pour en savoir plus sur la territorialité chez les champignons je vous conseille le très bon livre « Ecologie des champignons » de G. Durrieu.

Cet article a été écrit à partir d’une idée originale de Marc-André Sélosse.

5 Comments

COULOMBEL Morgane says:

Oh j’aime trop ton dessin 🙂 et c’est super intéressant, je regarderai mieux tout ça à la prochaine balade en forêt !


fournier says:

belle analogie et belle métaphore bien filée ! bravo !


Mas says:

Superbe ! Marc-André 😉


VERONIQUE PORTIER says:

whaouhh Magnifique! Merci


Jacques says:

Avez-vous une référence dans un article scientifique concernant la formation des zones mélanisées entre champignons de différentes espèces? J’aimerais en savoir plus..

Merci


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