Le sang des glaciers
Un petit sms d’une amie me le rappelle ce matin: les premières neiges sont en train de tomber ! Alors avant qu’on ne rentre dans l’hiver, jetez un oeil aux paquets de névés qui se sont fondus (dorés?) la pilule tout l’été: certains auront attrapés de drôles de coup de soleil ! Il s’agit en fait des spores d’une algue verte, Chlamydomonas nivalis, aussi apellée très lyriquement sang des glaciers.
Une algue verte de couleur rouge ? Eh non ce n’est pas une erreur ! Pour bien comprendre pourquoi Chlamydomonas nivalis est une algue verte et non une algue rouge il faut s’intéresser brièvement à la diversité de ce qu’on appelle les « végétaux ». Les « végétaux » sont des êtres vivants qui possèdent la capacité de réaliser la photosynthèse, c’est à dire d’utiliser le CO2 de l’air et l’énergie du soleil pour fabriquer de la matière organique (plus précisément des sucres). Les végétaux doivent cette extraordinaire faculté à la présence à l’intérieur de leur cellule de compartiments spécialisés appelés chloroplastes. Chez tous les végétaux, ces compartiments contiennent un pigment vert indispensable à la photosynthèse, la chlorophylle. C’est ce pigment qui donne aux algues vertes et aux végétaux terrestres leur couleur verte caractéristique.
Les algues rouges forment un autre groupe de végétaux et possèdent en plus à l’intérieur de leurs chloroplastes d’autres pigments, dont la phycoérythrine, de couleur rouge, qui leur donne leur couleur caractéristique. Les algues brunes possèdent quant à elles un pigment supplémentaire brun dans leur chloroplastes, la fucoxanthine. Mais alors d’où viennent ces différences ? Ceci est une autre histoire (lien vers un autre article que j’écrirais quand j’aurais toutes les photos nécessaires).
Revenons-en à notre petite algue Chlamydomonas nivalis. Comme toutes les algues vertes, elle possède à l’intérieur de ses chloroplastes de la chlorophylle verte mais pas de phycoérythrine rouge. C’est donc bien une algue verte. D’où lui vient alors sa couleur ? Cette teinte rouge provient d’un autre pigment rouge, l’astaxanthine, située dans la cellule mais à l’extérieur du chloroplaste et non pas à l’intérieur de celui-ci. Ce pigment responsable de la couleur de l’algue ne joue aucun rôle dans la photosynthèse. Il aurait une fonction de protection de l’algue contre une lumière directe trop intense, comme les pigments accumulés dans votre peau lorsque vous bronzez.
L’astaxanthine qui donne sa couleur au sang des glaciers est d’ailleurs un pigment très courant dans le monde vivant. Beaucoup d’autres algues le fabriquent également et c’est un pigment qui voyage ! C’est lui qui donne cette couleur rosée aux crustacés après cuisson, qui se nourrissent entre autres de petites algues. C’est lui aussi qui donne sa couleur aux flamants roses qui se nourrissent justement… de petits crustacés. Il est également utilisé comme colorant alimentaire sous le nom poétique de E161j et il est abondamment ajouté à la nourriture des saumons d’élevage pour que leur chair soit plus rose. Mais ces considérations nous emmènent loin des névés de haute montagne.
En plus d’être une algue verte-mais-rouge, Nivalis a une autre particularité assez remarquable pour une plante : elle bouge. Comme toutes les petites particules vivantes ou minérales, elle utilise l’eau de fonte qui circule entre les cristaux de glaces et le vent qui souffle sur les névés pour voyager. Pour autant elle ne se contente pas que de cela. Elle est aussi capable de littéralement nager vers la lumière !
Comme la plupart de ses collègues végétaux de montagnes, elle passe l’hiver sous la neige. Elle prend alors la forme de spores résistantes rouges (en photo). Au printemps, lorsque la fonte partielle des névés provoque la germination de ces spores, celles-ci se trouvent alors dotées de deux flagelles qui lui permettent de nager jusqu’à la surface pour prendre le soleil. Certes, elles ne font pas des temps de champion – 0.1 cm par minute dans l’eau de fonte à 0°C – mais pour une plante, c’est un bon score, surtout à la verticale !
Une fois arrivées à la surface, la reproduction a lieu et de nouvelles spores sont produites: ce sont elles qui s’accumulent tout l’été à la surface et le névé rougit.
Si Nivalis est bien visible grâce à ses pigments rouges elle n’est pas seule pour autant. D’autres algues unicellulaires ( à une seule cellule) mais aussi des cyanobactéries (des bactéries photosynthétiques) cohabitent dans ce milieu à première vue hostile. De plus cette flore microscopique sert de nourriture à de petits protozoaires des glaces mais aussi à de minuscules vers qui pourront à leur tour nourrir des insectes ou des araignées. Bref les névés abritent de véritables écosystèmes, frileux s’abstenir !
Bref, la prochaine fois que vous croiserez un de ces névés qui ont pris des coups de soleil, ayez une petite pensée pour toute ces nageuses bronzées qui grouillent sous vos pieds ainsi que leur compagnons invisibles.
Une bonne source d’infos sur la vie de C. nivalis: la thèse de Yannick Bischoff, Diversité et mobilité des algues de neige dans les Alpes suisses. (où l’on apprend notamment que Nivalis peut faire des pointes de vitesse à presque 1 cm par minute, rapporté à taille humaine ça fait quand même 12km/h: pas mal !).
Je vous conseil aussi très vivement l’article « La cryoconite » paru dans le numéro 9 de la revue Espèce.
Enfin si ce sujet vous intéresse particulièrement vous pouvez également consulter le livre Snow Ecology édité par H. G. Jones et ses collaborateurs aux éditions Cambridge University Press.
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