Des guêpes assoiffées

Cet été, bien au frais entre les murs de ma demeure, je vis par la fenêtre un oiseau au sol, le bec ouvert… Interprétant ça comme un individu assoiffé par la chaleur estivale, je décidai de mettre une écuelle d’eau à disposition sur la table de la terrasse. Altruisme intéressé : j’espérai ainsi pouvoir leur tirer le portrait en retour, ou même simplement les observer de plus près…

Sauf qu’aucun oiseau ne vint boire à la coupelle ! Mal placée ? Trop de chats dans le voisinage ? Pas soif ? En tous les cas, je me rabattis sur d’autres créatures qui profitèrent largement de l’aubaine : les guêpes ! Voyez plutôt :

Il ne s’agit pas de n’importe quelle guêpe soi-dit en passant: c’est un poliste, probablement un poliste gaulois (Polistes dominulum/gallicum), cocorico. De quoi est-ce que je suis en train de parler ? Une guêpe c’est une guêpe, pourrait-on me rétorquer. Sauf qu’en fait, c’est plus subtil…

Regardez l’abdomen de notre individu : élégamment, il se rétrécit progressivement, jusqu’à la fameuse « taille de guêpe ».  Ce n’est pas le cas des guêpes du genre Vespula comme la guêpe commune, ou le frelon Vespa crabro, où l’abdomen fait comme une falaise abrupte en face du thorax, plutôt qu’une pente douce et harmonieuse.

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Le rétrécissement progressif de l’abdomen face au thorax identifie les guêpes sociales du genre Polistes. Les antennes orangées déterminent le poliste gaulois.

Du point de vue comportemental, les polistes sont généralement considérés moins agressifs que leurs proches cousines, piquant assez rarement loin de leur nid. Leur nid également est différent, non fermé, mais c’est un autre sujet.

Bien sûr, comme tout un chacun, ils doivent rester hydratés, c’est généralement ce qu’on entend par « boire ». Dans le cas des insectes sociaux, l’eau peut également servir aux larves ou à la reine restées à la ruche. Chez les guêpes, l’eau collectée peut aussi servir à confectionner du papier mâché pour renforcer le nid ! Enfin, chez les polistes, l’eau sert aussi de système de refroidissement: déposée sur le nid, l’évaporation qui en résulte a un pouvoir refroidissant, comme vous l’avez sûrement constaté en sortant mouillé un jour de vent. Tout cela explique pourquoi les polistes sont très opportunistes et assidus aux sources d’eau que l’on peut mettre à leur disposition l’été.

Une guêpe « plus classique » du genre Vespula: remarquez comme l’abdomen s’interrompt brusquement en face du thorax, comparé au Poliste présenté plus haut. Les Vespula sont généralement plus enclines à visiter vos assiettes

Une dernière observation : avez-vous remarqué les mouvements de l’abdomen de notre poliste ? Il se contracte et se rétracte cycliquement, un peu comme quand vous déglutissez rapidement en engouffrant une bouteille d’eau après une grosse séance de sport ! Cela peut s’observer chez toutes les guêpes, chez les abeilles, et chez certains autres insectes. Je pensais initialement que c’était en effet un système de pompe qui leur permettait d’absorber l’eau : en s’étirant, l’abdomen augmente le volume disponible, créant une dépression qui aspirerait l’eau par la bouche (comme votre diaphragme qui s’abaisse quand vous inspirez).

Il s’avère que ce n’est absolument pas le cas : Chez les abeilles (je n’ai rien trouvé chez les guêpes mais le principe doit être le même), l’absorption d’eau se fait par capillarité par la « trompe » (proboscis), en lappant avec la langue, un peu comme un chien, ou bien effectivement par succion mais par une « pompe » musculaire située au niveau de la tête, juste au dessus du proboscis, et non dans l’abdomen…

Les mouvements abdominaux sont en fait véritablement analogues à ceux de notre diaphragme : ils servent à respirer ! Chez beaucoup d’insectes petits et/ou peu actifs, la respiration (l’apport d’oxygène au corps et le rejet de CO2) se fait par diffusion à travers des orifices le long de leur corps, c’est-à-dire en attendant passivement que les molécules de gaz au mouvement erratique arrivent à bonne destination. Mais chez les guêpes et abeilles, insectes actifs au vol énergétiquement coûteux, ce système basé sur la diffusion n’est pas assez rapide et efficace. Il est donc complété par cette pompe musculaire abdominale. Si on la remarque très bien lorsqu’elles boivent, c’est simplement qu’elles sont alors immobiles et donc beaucoup plus faciles à observer !

Comme quoi il faut se méfier de nos interprétations trop hâtives, même si elles semblent tenir debout au premier abord!

6 Comments

Pascale Musette says:

Merci très intéressant. Je me demandais pourquoi les polistes étaient tellement assidues à ma fontaine. Allez-retours constants jusqu’au nid par cette chaleur…


Danielle Bert says:

Depuis une quinzaine, abeilles et guèpes occupent le bord de l’eau de l’ancienne auge des poules désormais dédié aux besoins des oiseaux et je ne vois plus ceux-ci l’utiliser!
Avez vous une explication?
Bonjour et merci
Dani


Julien C says:

Bonjour,

Je n’ai pas d’explications à vous fournir, seulement des pistes d’hypothèses, sans doute un peu tardives:
– est-ce que les oiseaux sont partis (migration, etc)
– ou simplement n’aiment-ils plus l’auge (présence de guêpes, autre source d’eau ailleurs, moins soif, etc),
– ou bien encore est-ce qu’ils l’utilisent à des heures différentes où vous les observez moins (évitement des pics de chaleur, etc.)???

il faudrait plus de détails d’observation pour trancher entre ces hypothèses!


France Lehoux says:

Merci beaucoup pour ces explications.


combet says:

Fort intéressant.
Merci.
Je suis loin d’être aussi expert mais j’observe avec attention un nid de guêpes placé à environ 3 mètres de mon balcon.
Vos explications me sont fortement utiles,


Nathalie Acebes says:

Je vous remercie sincèrement pour ces éclaircissements en réponse aux questions que je me posais en observant les polistes s’abreuver si souvent dans l’assiette réservée aux oiseaux.


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