Au cirque des hérauts de l’érosion

Le cirque de Mourèze, non loin de Lodève dans l’Hérault, ne vous proposera ni clowns, ni fauves domptés, pas même un jongleur. A la place, vous y découvrirez au détour des sentiers des figures préhistoriques figées dans leur inquiétante splendeur.

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L’imagination du visiteur est forcément titillée par ces formations géologiques. Pas de fossiles ici, ce n’est que la roche qui a fini par prendre la forme, là d’un visage humain, ici d’un monstre disparu. Et pourtant, pour le géologue amateur, l’histoire que ces roches nous racontent est toute aussi fascinante…

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Profitons de l’assoupissement des gardiens de pierre pour pénétrer dans le cirque

Bien sûr, je ne vous apprendrai probablement rien en vous disant que le spectacle minéral du cirque de Mourèze n’est que le fruit de l’érosion.

Cette explication banale révèle néanmoins au géologue que dans le passé, à la place de ces colonnes de pierre sculptée, s’étendait une couche rocheuse continue. Elle a ensuite été peu à peu creusée sous l’action des agents érodants: la pluie, plus ou moins acide ou abrasive, qui emporte également les débris par ruissellement; la succession de gel et dégel qui peut amplifier les failles, comme toute personne qui aurait oublié une bouteille d’eau pleine au congélateur le comprendra aisément; les racines des plantes qui s’insinuent dans les anfractuosités, se ménagent peu à peu leur niche, etc…

Vous pourrez rester des heures à camper devant une colonne, vous ne verrez pas cette érosion à l’œuvre. Le processus s’étend sur des échelles de temps bien plus grandes. Le calcaire qui compose ces colonnes (une roche claire, formant à l’échelle du paysage des strates, et sans minéraux visibles quand elle est observée de près à l’oeil nu), qui formaient jadis une couche continue, s’est formé au Bathonien moyen (Jurassique). C’est à dire il y a plus de 160 millions d’années, à l’époque où les sauropodes, ces gigantesques dinosaures au cou démesuré, arpentaient la Terre.

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Les géants de pierre ont succédé aux diplodocus et autres dinosaures

Le calcaire peut se former de diverses façons, mais il indique toujours qu’au moment de sa formation, la région était en fait au fond d’un bassin, lac ou océan. Ici, il s’agit de calcaire corallien: ce que vous voyez sont les débris des squelettes de corail, qui prospéraient à l’époque dans la région, dans des eux chaudes, ensoleillées et peu profondes. En 160 millions d’années, les récifs de corail se sont mués en strates calcaires, puis en paysage rocheux tourmenté qui ravit les touristes bipèdes de notre époque.

IMG_2747Pour autant, tout cela ne nous explique pas pourquoi ici, l’érosion a façonné ces piliers, au lieu d’aplanir toute la zone de façon plus homogène. C’est justement parce que la roche n’est pas homogène.

Tout d’abord, et très simplement, il existe des hétérogénéités physiques: des failles, fractures et ruptures apparues au cours de l’histoire de la roche, favorisées par exemple par la surrection non loin de la chaîne des Pyrénées (il y a 40 millions d’années). Comme cette page l’explique très bien, ces failles, de toutes les tailles (de la microfracture de quelques mm jusqu’aux « tranchées » de plusieurs mètres) sont ensuite les points d’attaque privilégiés de l’érosion, creusant et agrandissant peu à peu des couloirs où ruissellent les eaux de pluies en emportant avec elles les débris.

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De belles fractures

Ce phénomène est assez fréquent dans les régions calcaires, on lui donne le nom général de « karst ». Il donne parfois naissance à des réseaux de grottes, ou tout simplement à des « lapiaz »: des socles rocheux fracturés qui ressemblent à des pavements naturels. Néanmoins à Mourèze le résultat est particulièrement marqué et spectaculaire. On parle alors de paysage ruiniforme, mais dans le principe on pourrait voir le site comme un lapiaz géant. L’apparition d’un lapiaz va dépendre des conditions de précipitations (pluies plus ou moins acides, fréquentes, violentes) et de ruissellement. Mais pour comprendre pourquoi cela a atteint de telles proportions à Mourèze, il faut aller s’intéresser à la composition particulière de la roche…

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Un lapiaz dans la région d’Ingleborough, en Angleterre

Un test classique pour reconnaître du calcaire sur le terrain consiste à y déposer quelques gouttes d’acide (on utilise souvent de l’acide chlorhydrique dilué à 10%). Le calcaire est habituellement composé de carbonate de calcium CaCO3, ou « calcite », qui se dissout dans les eaux acides en dégageant du CO2 (les bulles de gaz créent ainsi l’effervescence en passant à travers l’eau liquide). C’est ce qui se passe également quand vous nettoyez votre cafetière au vinaigre blanc pour la détartrer (le tartre dans la cuisine est majoritairement du carbonate de calcium).

Mais si vous faites le test sur les roches de Mourèze, il n’y aura pas d’effervescence, il ne se passera quasiment rien. Cette propriété fut remarquée par des géologues du XIXe siècle dont un certain M. Dolomieu… Cela les amena à classifier la roche comme un type de calcaire particulier, nommé plus tard calcaire dolomitique ou dolomie. Dans le calcaire dolomitique, une partie de la calcite (à base de calcium Ca) a été remplacée par de la dolomite (MgCO3, à base de magnésium Mg).

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Réaction d’un acide sur du calcaire ou sur de la dolomite. La différence vient du remplacement du calcium par du magnésium qui n’ont pas les mêmes propriétés (noter par exemple la plus petite taille de l’ion magnésium)

Dolomite et calcite n’ont pas les mêmes propriétés. La dolomite est plus dense, plus dure que la calcite. Elle résiste donc mieux aux attaques physiques. Elle résiste également mieux aux attaques chimiques telles que l’acidité de l’eau de pluie chargée en CO2 atmosphérique. Bref: la dolomite est plus résistante à l’érosion.

En revanche, la dolomite est aussi plus difficile à former que la calcite: lors de la formation d’un calcaire dans un bassin, par rapport au calcium, le magnésium dissous est plus difficile à « extraire » de l’eau pour l’incorporer dans la roche. En conséquence la dolomite est généralement formée secondairement (bien que cela fasse débat): un calcaire classique à base de calcite est d’abord formé, puis dans les zones où l’eau est riche en magnésium et circule peu (par exemple le long de fractures dans le calcaire calcitique) une partie du calcium est peu à peu remplacé pour donner de la dolomite.

Ainsi les zones de la roche avec de plus grandes proportions de dolomite résisteront mieux à l’érosion que les zones plutôt calcitiques. On a une forme « d’érosion différentielle »*: les zones plus tendres partiront les premières, favorisant et amplifiant ensuite l’érosion comme on l’a vu plus haut avec les hétérogénéités physiques. Le relief ruiniforme peut naître!

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Se pourrait-il que le chapeau de ce gardien de pierre résiste aux assauts de la pluie et protège ainsi son pied plus tendre, comme observé chez les demoiselles coiffées?

Ce que la géologie ne nous explique pas par contre, c’est pourquoi l’érosion fait si souvent apparaître des formes familières dans la roche…

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* L’érosion différentielle façonne de nombreux autres paysages. C’est le cas des « collines » de Paris (buttes Chaumont, Montmartre, Belleville…) qui ont mieux résisté que les roches aux alentours. Les demoiselles coiffées, ou cheminées de fées, en sont un autre exemple spectaculaire.

 

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