Observations dare-dard

Imaginez la scène: dans un pré fleuri, en train de pique-niquer, vous détectez soudain avec effroi un insecte qui vole tout près, teinté de jaune et noir. Une guêpe! Ou un frelon, un bourdon, bref une sorte d’abeille quoi, vous voyez bien, avec un dard, qui peut vous piquer! Si vous êtes un lecteur assidu du Saule Causeur, vous aurez peut-être été convaincu que ces hyménoptères sont beaucoup plus intéressants que dangereux! Mais peu importe, là n’est pas la question aujourd’hui:

Etes-vous bien certains que c’est une guêpe? Ou un bourdon, ou une abeille, enfin un insecte qui pique, vous m’avez compris! Avez-vous déjà entendu parler des syrphes?

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Un corps jaune-roussâtre et noir, un thorax velu, l’abdomen rayé… Pourtant non, ce n’est pas une abeille, mais une mouche (enfin un diptère, en terme technique)! Aucun dard, aucun danger, ni pour vous, ni pour ses prédateurs…

Pour qui ne s’est jamais penché sur un guide d’identifications des insectes, il est tout à fait naturel de se laisser berner par ces animaux… C’est le but même de leur manœuvre! A tel point qu’ils auraient même donné naissance à un mythe dans l’Égypte antique, repris par les Grecs et d’autres civilisations, selon lequel les abeilles naitraient spontanément dans les carcasses de ruminants (le mythe Bugonia). Alors qu’il s’agissait probablement à la base d’observations de syrphes qui venaient y pondre!

Le dessein est aisé à comprendre: le dard des abeilles suffit à ce qu’on les laisse généralement tranquilles. Si vous ressemblez à une abeille, on vous laissera tranquille aussi! C’est ce qu’on appelle le camouflage « batésien »: on imite des organismes dangereux ou non comestibles pour dissuader les prédateurs, bref, on bluffe! De nombreux organismes utilisent cette stratégie, notamment (mais pas uniquement) chez les insectes.

Mais si elles ressemblent aux abeilles (ou aux guêpes, il existe en fait une multitude d’espèces de syrphes, velues ou non, plus ou moins jaunes, noires, grandes, petites, fines, larges etc), comment fait-on pour les reconnaître? Le premier point, c’est que ce sont des diptères, des cousines des mouches; et non des hyménoptères. Regardez les photos, vous remarquerez cette ressemblance. Par exemple les diptères, comme leur nom l’indique, n’ont qu’une paire d’ailes véritables (les hyménoptères, et la plupart des insectes, en ont deux). Les ocelles (yeux composés) sont également bien reconnaissables.

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Convenez que cette face rappelle bien plus celles des mouches que des guêpes et abeilles! D’ailleurs il est fréquent d’observer les syrphes posées se frotter les pattes avant, comme les mouches dont on a plus l’habitude. Ici et sur la photo du dessus, il s’agit peut-être d’un individu du genre Merodon (Merodon equestris?).

Ok, c’est bien beau me direz-vous, mais entre reconnaitre une tête de mouche sur une photo, et distinguer un syrphe en vol d’une guêpe dans les champs… En fait il y a un autre critère souvent décisif. Une fois averti, ces insectes se démasquent aisément. Ils ont cette manie caractéristiques de faire du surplace pendant plusieurs secondes, avant de plonger sur une fleur ou de se décaler et de recommencer. Les Anglais les appellent d’ailleurs « hover fly », « les mouches qui font du surplace », et en particulier l’une d’elles, Eristalis tenax, est aussi appelée dronefly… Comment réalisent-elles cette prouesse aérodynamique, c’est en partie expliqué ici. Pour la fonction de ce comportement, on peut supposer que cela permet aux mâles, très territoriaux, de pouvoir surveiller leur domaine (le vol stationnaire facilite la vision), voir de séduire par la même occasion leurs femelles…

Ce comportement est en tout cas typique des syrphes, et pour ma part semble me suffire à les identifier instantanément, même d’assez loin (je serais curieux de recevoir des témoignages d’autres observateurs là-dessus). Pourtant plusieurs études ont reporté que la façon de voler des syrphes étaient plus proches des espèces qu’elles imitaient (abeilles, ou bourdons, ou guêpes) que de celle d’autres diptères, parfois d’autres syrphes! Le mimétisme batésien ne se limiterait ainsi pas à la forme et la couleur, mais aussi au comportement! Cette hypothèse ne tient que si les prédateurs se font effectivement tromper, en tout cas assez fréquemment pour que des individus syrphes qui ne se camoufleraient pas soit dévorés beaucoup plus souvent que les autres. Est-ce le cas?

Je me faisais probablement tromper avant d’avoir vu décrits les syrphes dans un livre. Combien de générations d’observateurs se sont fait tromper également, influencés par le mythe Bugonia? Pour ma part je ne mange pas de syrphes, donc ma capacité à les reconnaitre ou non les impacte assez peu. Qu’en est-il de leurs prédateurs? Un oiseau en chasse doit prendre assez rapidement sa décision d’attaquer ou non sa proie potentielle, et une piqûre pourrait s’avérer très problématique pour lui. Combien d’oiseaux ont finalement pu apprendre à différencier syrphes et hyménoptères d’un seul coup d’œil?

 

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