Écologie fromagère (première partie)

plateau

Ce plateau de fromages est une véritable collection d’écosystèmes !

En hiver il est parfois difficile de se motiver pour sortir faire une balade dans la froidure ! Heureusement le Saule pense à tout ! Je vous propose quelques observations ou plutôt devrais-je dire quelques dégustations naturalistes que j’espère vous apprécierez. Une fois n’est pas coutume je vous propose donc de rester bien au chaud et de vous installer à table pour découvrir des écosystèmes originaux, les fromages !

Comme une forêt, un lac ou une prairie, un fromage peut être vu comme l’interaction entre un milieu physique, la pâte, et une communauté d’êtres vivants, l’ensemble des micro-organismes qui va participer à son affinage. Dans cette première partie nous allons nous intéresser plus particulièrement à la pâte des fromages, comment est-elle fabriquée, et surtout en quoi cela va-t-il influencer l’écosystème fromager.

De la même manière que le climat ou la nature du sol d’une forêt va influer sur la communauté d’êtres vivant qu’elle abrite, les caractéristiques de la pâte du fromage vont être fondamentales pour l’évolution de l’écosystème fromager. Un des facteurs déterminant est la quantité d’eau contenue dans la pâte avant son affinage, qui dépend des techniques employées lors de la fabrication. Une pâte à fromage se forme par coagulation des protéines du lait : les molécules du lait s’assemblent en grandes chaînes qui rendent le lait pâteux. Cette opération permet d’obtenir, d’une part, le caillé formé par les protéines et les matières grasses, et d’autre part le petit lait constitué essentiellement d’eau sucrée et de sels minéraux.

fromage frais

La plupart des fromages frais tels que ce morceau de Saint-Florentin sont du caillé brut, égoutté mais non transformé.

La matière sèche, le caillé, peut être séparé du petit lait par un simple égouttage et donner des fromages à pâtes molles comme le Camembert, le Coulommiers, le Munster ou le Saint-Marcellin. A l’instar des forêts pluviales luxuriantes, la pâte de ces fromages est riche en eau et donc propice à un développement rapides des micro-organismes. C’est pour cette raison que leur affinage est rapide, à peine quelques semaines (3 à 6). Au delà ils se liquéfient complètement.

coulomier

Ce morceau de Coulommiers affiné à cœur est proche du point de liquéfaction.

Le caillet égoutté peut également être mis sous presse pour évacuer encore plus d’eau. Suivant la durée du pressage et la pression exercée sur la pâte, la teneur finale en eau sera plus ou moins faible et le développement des micro-organismes plus ou moins ralenti. A titre d’exemple, le Saint-nectaire est mis sous presse 24h et possède une durée d’affinage de 6 à 10 semaines.

Saint-Nectaire

A cause du pressage du caillé, ce morceaux de Saint-Nectaire possède une pâte un peu plus dure que le Coulommiers car un peu plus sèche.

Pour obtenir une pâte encore plus sèche le lait peut être chauffé (40 à 55°C) au moment de la formation du caillé pour optimiser l’extraction du petit-lait. Après formation, le caillé ainsi obtenu est égoutté et pressé longuement afin d’obtenir une pâte très sèche qui évoluera très lentement. C’est le cas des fromages dits à pâte cuite dont font partie les nombreux fromages d’alpages comme l’Abondance, le Comté ou encore le Beaufort. De tel fromages sont des écosystèmes arides qui s’affinent pendant des mois (jusqu’à deux ans).

abondance

La pâte de ce morceau d’Abondance est un véritable écosystème aride.

Un autre paramètre important des écosystèmes fromagers est la salinité. En effet, les pâtes des fromages sont salées, soit en les frottant avec du sel, soit en les trempant dans une saumure. Le sel est toxique à forte concentration pour de très nombreux organismes. Comme dans les écosystèmes salés tel que les marais littoraux, qui abritent des flores et des faunes adaptées à cette toxicité, le sel sur les fromages permet de sélectionner des communautés de micro-organismes particulières et d’éviter l’installation de microbes indésirables.

La disponibilité en dioxygène est également déterminante car la majorité des micro-organismes du fromage en ont besoin pour se développer. En l’absence de porosité, l’oxygène n’est abondant qu’à la surface de la patte qui est en contact avec l’air et c’est donc dans cette partie que les micro-organismes se développeront majoritairement. C’est pourquoi les fromages possèdent une croûte ! Les fromages de types bleu ou Roquefort sont quant à eux piqués au cours de l’affinage pour permettre à l’air et donc au dioxygène de pénétrer la patte permettant le développement de champignons bleu du type Penicillium glaucum ou Penicillium roqueforti.

Bleu d'Auvergne

Le champignon Penicillium glaucum mélangé au lait avant même la coagulation se développe dans les trous faits dans la pâte là où l’oxygène est abondant.

Enfin, un dernier paramètre mérite d’être mentionné : la température d’affinage. Comme pour tous les écosystèmes la température ambiante joue un rôle important dans l’évolution d’un fromage au cours du temps. Dans la plupart des cas elle est maintenue relativement basse, entre 10 et 15°C, pour limiter les fermentations indésirables tout en permettant une activité microbienne nécessaire à l’affinage. Mais dans certains cas elle peut être plus élevée, comme pour l’Emmental. Une fois que la croûte a commencé à se former, les meules d’Emmental sont placées pendant un temps dans des caves à 23°C où les bactéries contenues dans la pâte vont réaliser en se nourrissant une fermentation qui libère du gaz carbonique. En quelques semaines, 150 L de gaz carbonique sont produits dans chacune des meules qui vont se bomber. C’est cette production massive de gaz qui permet la formation de ces célèbres trous.

emmental

Sur cette tranche d’Emmental on voit bien les trous et le profil bombé de la meule à cause de la production massive de gaz carbonique par des bactéries.

Quel bilan retirer de cette petite dégustation ?

Premièrement, les fromages artisanaux sont aussi intéressant que bons ! Deuxièmement, nous avons vu que les caractéristiques physiques de la pâte du fromage, c’est à dire la teneur en eau, en oxygène, la salinité et la température sont déterminant pour l’évolution de l’écosystème fromager. Enfin, le fromage en tant qu’interaction entre un milieu physique et une communauté d’êtres vivants est un écosystème comme un autre qui obéit aux même règles fondamentales.

Dans un prochain article, je vous proposerai par conséquent de vous attabler une nouvelle fois pour nous s’intéresser à la  composante vivante de l’écosystème fromager, la communauté des micro-organismes responsables de l’affinage.

Cet article a été écrit à partir d’une idée originale de Marc-André Sélosse.

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