La danse du quartz
En ce début 2017 – très bonne année à vous – je suis tombé sur un échantillon de roche qui m’a interpellé. C’est un petit miracle en soi : le morceau était perdu au milieu du pierrier dense que nous gravissions, sur une pente plutôt raide qui mettait mon souffle à rude épreuve, très certainement du fait de ma tendance à plus réveillonner que faire de l’exercice, et enfin, lors de mes petites pauses réparatrices, le paysage grandiose attirait irrésistiblement mon œil et mon objectif loin de mes pieds… Les chances n’étaient donc pas de mon côté pour dénicher ce caillou, mais il est là, et je vais en profiter pour vous raconter un peu son histoire !
Vous le voyez, l’une des faces est tapissée de petits cristaux à teinte saline, non sans rappeler la structure de certaines pierres précieuses vendues çà et là (on y reviendra). Si vous avez quelques bases en géologie, vous aurez sans doute reconnu le quartz, un minéral très commun, composant essentiel du granite, à la composition chimique identique à celle des grains de sable : de la silice, SiO2. Le quartz, vous pouvez donc en voir partout, si vous vous penchez un peu sur le sol de vos balades. Ce qu’il est moins commun de voir, ce sont des cristaux de cette taille et de cette forme, purs, assez réguliers.
Pour comprendre un peu mieux ces structures, penchons-nous un peu sur les mécanismes de formation des cristaux. On démarre à la base dans les profondeurs de la terre avec un magma, c’est-à-dire de la roche en fusion, donc plus ou moins liquide, avec une composition chimique donnée, et des conditions de pression et de température qui dépendent notamment de la profondeur à laquelle on se trouve. On pourra donc retrouver dans ce magma du fer, du magnésium, du carbone, de l’oxygène (O), et tout un tas d’autres atomes et molécules (je ne vais pas vous refaire tout le tableau périodique). Le silicium (Si) est l’un des plus abondants.
Ces éléments s’assemblent en fonction de leurs affinités, qui dépendent des conditions de température et de pression, de leurs abondances respectives, etc… Un peu comme vous allez préférer danser avec tel partenaire pour une soirée endiablée mais bavarder en tête à tête des heures durant avec tel autre, les affinités dépendent des contextes, mais il en est des durables, difficiles à défaire une fois constituées. Lorsque ces éléments s’assemblent, ils le font généralement selon un agencement géométrique précis. C’est le cas du silicium et de l’oxygène, qui peuvent s’associer en réseau bien ordonné, avec un ratio de 2 oxygènes pour un silicium (SiO2, la formule de la silice). C’est la cristallogenèse : la solidification ordonnée. Si le magma ne refroidit pas trop vite, ce réseau de silice s’agence en bases hexagonales régulières, qui une fois formées restent très stables aux conditions de surface. C’est le quartz. Si le refroidissement est trop rapide, le réseau est amorphe, et l’on a du verre plutôt que des cristaux. Et puis si des éléments comme du fer s’insèrent ça et là dans le réseau bien réglé du quartz, il se colore et donne, par exemple de l’améthyste.
Maintenant que l’on sait comment se forme le quartz, reste à comprendre ce qui détermine son aspect visible à l’œil nu. Dans le cas classique des minuscules cristaux de quartz dans du granite, la solidification du quartz se fait d’après les lois de la physique après celle des autres minéraux principaux du granite, à savoir les feldspath et micas, à partir du même magma initial. Oxygène et Silicium font alors leur possible et jouent des coudes pour danser ensemble dans une boîte surpeuplée, et ils ne peuvent pas bouger comme ils le voudraient. Ainsi, la croissance des cristaux de quartz y est gênée par celle des autres minéraux déjà solidifiés, et l’on se retrouve avec des cristaux de forme irrégulière et/ou interstitiels. Alors que dans le cas du morceau que je vous présente, ou des inclusions d’améthystes, le couple a pu exprimer main dans la main et pour nos beaux yeux toute la spontanéité de leur pas de danse microscopique élémentaire ; et l’on découvre à l’échelle visible la chorégraphie complète, superbe de formes et de régularité.
Comment sont-ils parvenus cette fois-ci à se faire une place parmi les autres danseurs ? En fait, ils ont profité d’une cavité dans la roche déjà formée et solidifiée (une fissure, une poche d’air, etc), dans laquelle s’est insinuée de l’eau liquide chargée d’éléments minéraux dont l’oxygène et le silicium. La cristallogenèse du quartz s’est faite à partir de ce milieu aqueux, et non de magma initial, en tapissant la paroi de la cavité (la « géode »), sans autres concurrents, et donc avec toute la place nécessaire pour s’exprimer. D’ailleurs si vous regardez attentivement ces fragments de roche, vous pouvez observer nettement sous les cristaux de quartz ou d’améthyste des couches successives de roches de différentes couleurs, et donc de différentes compositions, qui se sont ainsi formées à partir d’un liquide originel (magmatique ou aqueux) différent. Le quartz a ici simplement fermé la danse par un solo !
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