Le roi sur la montagne
Le roi sur la Montagne; ou comment le roitelet se fit couronner
Venez, approchez. Je vais vous raconter, si vous le voulez bien, une histoire ancienne, une histoire que m’a transmise mon grand-père mais lui-même la tenait de sources bien plus vieilles encore, dont les mémoires se sont perdues désormais. C’est une histoire du fond des âges, à l’époque où l’Homme n’était encore qu’un Enfant, un temps où les bêtes, les bestioles et les autres créatures vivaient toutes ensemble dans la Grande Plaine Boisée qui s’étendait devant les Hautes Montagnes Enneigées.
Oh, il y avait là toutes sortes de bêtes, de bestioles et d’autres créatures. Il y avait une myriade de fourmis qui fourmillaient d’impatience, qui s’affairaient sans cesse, travaillaient sans trêve, mais sans siffler. Il y avait aussi la bande à belette et ses cousines les hermines et les zibelines, qui toutes fouinaient et furetaient tout partout, pointant leur museau où cela ne les regardait pas. Souvent la belette venait ensuite marteler des poings sur le tronc du Vieux Saule au centre de la Plaine Boisée: « ah ça ne va pas, ça ne va pas du tout ! Savez-vous, j’étais tantôt en train de farfouiller du côté du Grand Hêtre, quand j’ai entendu les fourmis fourmiller d’impatience, mais sans siffler ! Elles travaillent, elles travaillent, mais ne partagent jamais ! On ne sait pas bien ce qu’elles font d’ailleurs… Ça ne va pas du tout, vous devez faire quelque-chose ! » Et la belette faisait un tel raffut que les autres animaux bougonnaient : « ah mais va-t-elle nous laisser tranquilles à la fin ?! »
Et au milieu de tout ce chahut, il y avait aussi d’autres créatures, parmi lesquelles des oiseaux de toutes les formes et de toutes les tailles, mais il serait trop long de tous vous les décrire ici. Sachez qu’il y avait des aigles majestueux, des hiboux respectables, des alouettes qui elles, sifflaient ; il y avait, très haut dans le ciel, le vautour nonchalant, toujours en vadrouille. Et puis, s’activant entre les branchages, voletant de rameaux en rameaux sans que personne ne se soucie d’eux, il y avait des petits pouillots pouilleux (si vous ne savez pas ce que c’est qu’un pouillot, cela ne fait rien, personne ne se souciait d’eux de toute manière. Je vous ai fait un dessin pour vous aider).
Parmi les petits pouillots pouilleux, il y en avait un en particulier, encore plus petit que les autres petits pouillots (lui aussi est sur le dessin, c’est celui qui est tout petit). Il était si petit qu’il devait sans arrêt gesticoter tout partout dans les branchages pour ne pas se faire oublier. Il voletait par ci, et il voltigeait par là, en piaillant, parfois juste sous le bec des aigles les plus majestueux, ou bien au plus près des oreilles des hiboux les plus respectables ! C’est qu’il n’avait peur de rien ! Mais il avait bien beau agiter sa crête de plumes brunâtres dont il était si fier (tu peux la voir sur le dessin en regardant bien), personne ne le remarquait : Les belettes étaient trop occupées à fouiller tout partout, et les fourmis travaillaient, et le vautour nonchalait, et enfin chacun vaquait à ses occupations. Personne ne se souciait du plus petit des pouillots pouilleux, pas mêmes les autres pouillots pouilleux.
Un beau jour, la belette revint une fois de plus marteler sur le tronc du Vieux Saule : « Ça ne va pas du tout ! Je farfouinais du côté de la Falaise à Pic, quand j’ai entendu le vautour, qui rentrait nonchalamment de vadrouille, dire qu’il n’avait jamais vu un pays aussi beau là-haut, sur les Hautes Montagnes Enneigées. Que maintenant que la neige était fondue, il était fort agréable d’aller s’y promener. Ça ne va pas du tout ! Vous devez faire quelque-chose ! »
Comme toutes les bêtes, les bestioles et les autres créatures de la Grande Plaine Boisée en avaient assez d’entendre la belette rouspéter et marteler du poing sur le Vieux Saule, un respectable hibou s’avança et proposa de faire quelque chose. Il proposa, et tout le monde s’accorda à dire que c’était très respectable, d’organiser un concours : « Moi, grand-duc parmi les hiboux, j’avance la suggestion d’organiser céans une joute amicale qui visera à désigner le nouveau monarque des hautes altitudes. Pour ce faire, il me paraît raisonnable d’élire celui qui parviendra à s’élever au delà des tiers compétiteurs, par quelque moyen que ce soit. » Les hiboux respectables avaient de drôles de manière de s’exprimer. Ce qu’il voulait dire par là, c’est que celui qui irait le plus haut deviendrait le roi sur la montagne, et aurait le droit de s’y rendre, d’y vivre et enfin d’y vaquer tranquillement à ses occupations. Loin de belette. De toute façon, ceux qui ne pouvaient pas monter assez haut ne pourraient jamais atteindre les montagnes. Le hibou se proposa pour arbitrer et désigner le vainqueur, avec l’aide des autres hiboux respectables.
Le vautour était très content. Il avait tout bien pensé : Entre la bande à belette qui ne pourrait s’empêcher d’aller fouiner tout partout en chemin, les hiboux trop respectables pour prendre part au concours, et les fourmis qui n’étaient sans doute même pas au courant, trop occupées à travailler (sans siffler); la concurrence ne s’annonçait pas très rude. Certes les alouettes aimaient monter dans les airs, mais elles ne pourraient s’empêcher de siffler et chanter, si bien qu’elles s’essouffleraient bien vite. Seuls les aigles les plus majestueux pourraient poser problèmes, mais les plus majestueux étaient aussi les plus vaniteux. Ils préféreraient sans doute rester en bas avec les autres pour pouvoir être admirés à loisir, plutôt que de s’ennuyer tout seuls là-haut. Vraiment, la partie était jouée d’avance. Et puis de toute façon ce n’était que juste rétribution : sans lui, personne n’aurait découvert que les Hautes Montagnes Enneigées étaient accueillantes maintenant que la neige avait fondu ! Le vautour s’endormit donc sereinement.
Aujourd’hui encore, tu peux toujours écouter les alouettes siffler et chanter en montant dans le ciel. Tu les entendras sûrement si tu te promènes dans les champs au printemps ou à l’été, comme dans cet enregistrement d’Antony Schubert. Si tu regardes bien, tu pourras même les trouver dans le ciel.
Le lendemain, aux aurores, voilà toutes les bêtes, les bestioles et les autres créatures rassemblées près du Vieux Saule. Le hibou respectable prit d’abord la parole, pour annoncer qu’il ne participerait pas à la compétition, car en tant qu’arbitre il se devait d’être équitable (les mauvaises langues dirent que c’était aussi parce que le hibou n’aimait pas voler au soleil): « Moi, grand-duc parmi les hiboux, je tiens à vous faire part de mon retrait solennel de la présente compétition, en ma qualité d’assesseur objectif et impartial ». Puis il donna le départ : « allez maintenant! Sera désigné vainqueur celui ou celle qui se sera rapproché au plus près de l’astre solaire lorsque les ombres seront à leur minimum! » Il voulait dire par là que celui qui aurait été le plus haut à midi serait le roi sur la montagne! Tous les hiboux ouvraient désormais biens grands les yeux pour juger la compétition.
Tous s’élancèrent alors, sauf les fourmis, qui travaillaient sans siffler, et le vautour, qui dormait encore nonchalamment, sûr de sa victoire. La belette avait commencé à courir vers les montagnes. Les alouettes s’envolèrent dans les airs. Mais déjà, ne pouvant refréner leurs ardeurs face au soleil levant, elles se mirent à chanter et à siffler à mesure qu’elles montaient. Si bien qu’à chaque fois, elles étaient obligées de redescendre pour reprendre leur souffle! Autour, même les petits pouillots pouilleux tentaient de monter le plus haut possible, en voletant de branches en branches jusqu’à la cime des plus hauts arbres. A la mi-matinée, les alouettes continuaient à monter, s’essouffler, redescendre, et remonter; et les meilleures d’entre elles étaient montées à peine plus haut que les plus hauts arbres. Les aigles de leur côté avaient commencé à atteindre de belles hauteurs.
C’est à ce moment que le vautour se réveilla. Voyant le soleil déjà bien haut dans le ciel, il prit à son tour son envol, sans même prendre le temps de faire sa toilette. Il s’élevait nonchalamment, sans efforts, et déjà il dépassait les dernières alouettes qui sifflaient encore dans les airs. Quand son dos le démangeait, il se grattait du bec distraitement sans cesser de monter tranquillement. Tout en montant, le vautour observait paresseusement autour de lui. Il vit des plumes s’agiter dans les branches des plus hauts arbres mais n’y prêta guère attention. Il vit au loin avec amusement la belette, en train de fouiner et fureter derrière des rochers, ayant déjà oublié l’objet du concours.
Finalement il arriva à hauteur de l’aigle le plus majestueux, qui était déjà arrivé fort haut. Comme il s’approchait de lui, l’aigle lui lança : « as-tu vu comme mes ailes resplendissent au soleil à cette hauteur ? », et le vautour lui répondit nonchalamment en se grattant le dos : « ah en effet, je n’avais pas remarqué d’en bas, tu étais trop loin ». Sur quoi l’aigle s’écria « Ah ! Mais alors il faut que je redescende un peu pour leur montrer en bas ! » et il replongea vers la Plaine.
Le vautour se retrouva ainsi seul là-haut, mais comme lui aussi était fier, il décida donc de monter encore plus haut, pour bien montrer qu’il était le plus digne de recevoir le titre de roi sur la montagne. Finalement, un peu avant midi, il lança : « Alors, respectable Hibou, suis-je assez haut, suis-je le roi ? ». Le hibou très respectable, consultant ses fiches : « C’est ce qu’il me semble bien en effet, mais j’ai tout de même là, au pied de mon registre, le nom d’un participant que mes assistants et moi-même n’avons point encore vu. Nous ne le connaissons pas, ainsi il nous aura échappé sûrement. Néanmoins le règlement nous oblige à attendre quelques instants encore pour qu’il se manifeste. Il doit très probablement se trouver parmi les petits pouillots pouilleux, que nous ne fréquentons guère. Nous allons bien écarquiller les yeux. »
C’est à ce moment, que le plus petit des pouillots pouilleux sortit de sa cachette en piaillant: il s’était dissimulé bien au chaud dans le plumage du vautour. Ne pouvant s’empêcher de gesticoter, c’est lui qui lui chatouillait le dos depuis le matin !
« Ah ! » S’écria le hibou. « Je le vois désormais, le voilà ! Et son altitude dépasse légèrement la tienne, Vautour. D’après le règlement, moi, grand-duc parmi les hiboux, je le désigne roi sur la montagne !»
Le vautour, beau joueur, reconnut sa défaite aussitôt: « en effet, ces nouveaux monts auront pour souverain ce roitelet qui a su se jouer de moi, trop sot que j’étais de l’avoir négligé. C’est une leçon que je n’oublierai pas, et pour t’en remercier je te déposerai dans ton nouveau royaume quand bon te semblera, roitelet! » Et le roitelet répondit sans perdre sa contenance : « Ah oui, merci bien mon brave, mais tout de même avant cela, si je suis roi, il me faut ma couronne. » Et le vautour de répondre en étouffant un éclat de rire : « En effet, voyons voir si le respectable hibou a une idée. »
Le plus grand et le plus petit des oiseaux étaient redescendus à terre, mais le hibou ne savait que faire: il n’avait pas vraiment prévu de couronne, et de toute façon, celles qui auraient pu faire l’affaire étaient bien trop grandes pour la minuscule tête du roitelet. La situation en était là, roitelet et hibou commençaient à s’échauffer, lorsque, fait incroyable, surgirent les fourmis, qui avaient interrompu leur travail. D’une voix empressée l’une d’elle s’écria: « dites, nous avons l’autre jour entendu que vous nous accusiez de ne pas être partageuses, et d’être trop mystérieuses. Alors, nous avons récolté toute sorte de matériau dans la plaine, mais ceci nous n’en avons pas besoin, ce sont des morceaux de lichens qui poussent sur les rochers, d’une belle couleur orangée, mais nous n’avons pas le temps pour ces fantaisies. Alors on s’est dit que ça pourrait vous servir, enfin peut être, nous n’en savons rien. » Et les fourmis de tendre le pot de pigments à bout de pattes pour l’offrir aux oiseaux réunis là. Mais les oiseaux étaient trop occupés à se chamailler, et n’avaient écouté qu’à moitié. Les fourmis se mirent à fourmiller d’impatience, et même, chose rare, à siffler d’exaspération! « Ah et bien si vous n’en voulez pas, nous on a du pain sur la planche hein! » Et elles s’en retournèrent travailler en fourmillant, en envoyant le pot de pigment valser dans les airs.
Le pot tournoya en l’air pour finir sa course sur la petite tête du roitelet, qui ne l’avait pas vu arriver! « Ah mais qu’est ce que c’est que ça enfin!? ». Il se frotta la tête, chercha à se débarbouiller, et au bord de la crise de panique, demanda à ce qu’on l’aide, mais il était si petit que personne ne put le débarrasser complètement des pigments sur sa crête. Finalement le hibou s’écria: « et bien roitelet, te voilà désormais couronné! » Puis chacun, l’incident étant clos, s’en retourna vaquer tranquillement à ses occupations. Le roitelet, tout fier finalement, avait enfin sa couronne.
Enfin c’est ce que m’a raconté mon grand-père en tout cas! Cela fait si longtemps que peut-être certains détails ne se sont pas passés comme cela, mais peu importe. Ce dont on est sûr en revanche, c’est pourquoi les roitelets portent toujours leur couronne.
Le vautour tint sa promesse et aida le roitelet à retourner là-haut sur les montagnes. Avec sa crête de feu, et son tout nouveau prestige de monarque, nombreuses furent les petites pouillotes pouilleuses qui le suivirent, pour le goût de l’aventure, ou pour l’audace du roitelet, qui sait ? Toutes en tout cas s’accordaient pour dire que sa crête de feu était du plus bel effet. Elles s’empressèrent même de l’imiter, en récupérant les restes de pigment par terre, qui, mélangés à la poussière, étaient désormais plus jaunes qu’orange. C’est ainsi qu’encore aujourd’hui, en regardant bien, on peut différencier mâles et femelles de roitelets, ce qui est bien pratique.
Ainsi les roitelets établirent-ils leur dynastie, peignant avec soin la crête de tous les nouveaux nés. C’est depuis ce temps-là que tous les roitelets arborent fièrement leur couronne chèrement gagnée : une magnifique crête de plumes couleur de feu au sommet de leur crâne, qui fait verdir de jalousie les autres petits pouillots pouilleux dont personne, pas même les petites roitelettes couronnées, ne se soucie. Il y a d’ailleurs maintenant deux grandes familles de roitelets qui descendent en droite ligne du monarque initial : la famille avec un bandeau blanc au-dessus des yeux, et la famille sans bandeau blanc au-dessus des yeux. Mais ça c’est une autre histoire.
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