A table!
Si l’on devait ne retenir qu’une seule activité à ne pas manquer lorsque le temps est au beau fixe, je pense que je choisirais le pique-nique. En famille, entre amis ou même seul à contempler l’étendue d’un lac ou les profondeurs mystérieuses d’un sous-bois, les victuailles étalées par terre pour le plus grand plaisir des yeux et des papilles, il y a quelque chose de vraiment plaisant à simplement manger dehors…
Que vous préfériez les fruits estivaux bien juteux, les rondelles de saucisson bien sec, les jambon-beurres ou toute autre salade de saison, tôt ou tard, de l’avis même de plus de 95% des pique-niqueurs, jeunes et vieux, professionnels de la nappe à carreaux ou amateurs de bivouac sauvage, il est absolument certain qu’un hyménoptère bourdonnant viendra vous gâcher votre repas.
Qu’en est-il des 5% restant me direz-vous ? Auraient-ils déniché du fond des âges un remède de grand-mère obscur mais efficace pour apprécier son sandwich de plein air en toute quiétude ? Cet article est-il sur le point de vous le révéler enfin ?
Je suis effectivement passé dans ces 5% depuis peu, mais je dois vous l’avouer, j’ai bien peur que ma solution ne vous déçoive… En fait la clé n’est pas d’empêcher les guêpes, frelons ou abeilles de venir vous rendre visite ; mais de s’en réjouir ! Méthode Coué ?
Si vous faîtes fi des quelques désagréments, somme toute mineurs, tels que le vrombissement des ailes qui vous masque le clapotis des flots, l’angoisse éreintante de la piqûre (si vous êtes allergique néanmoins, je crains que cet article ne puisse rien pour vous) ou bien encore le holdup d’un pourcentage non négligeable de votre tarte au pomme, emportée dans les airs entre les mandibules d’un dalton en cavale ; ces bestioles sont à vrai dire proprement fascinantes. Et d’une générosité : sans que vous ne leur ayez rien demandé, elles viennent combler votre pique-nique déjà fastueux de leur spectacle naturel. Je ne parle pas ici de la danse des abeilles, fort intéressante mais réservée aux congénères restées à la ruche. Non je veux parler de leur comportement, là, juste devant vos yeux.
Au lieu de les chasser à grands gestes, regardez les faire : elles s’approchent, font le tour de la zone, s’arrêtent par ci, par là. De temps en temps, souvent juste au moment de s’en aller, elles effectuent un mouvement de vol très particulier : face à vous ou à un objet, elles se déplacent latéralement, d’un sens puis de l’autre, plusieurs fois, sans jamais quitter des yeux (des ocelles) l’objet de leur attention (schéma ci-dessous).
Aucun signe d’aggressivité là-dedans: elles sont en fait en train de prendre une série de « photographies mentales » de l’endroit, sous différents angles, afin qu’elles puissent retrouver plus tard votre table de pique nique. De manière générale, c’est grâce à ces banques d’images stockées dans leur mémoire qu’elles se repèrent dans l’espace, reconnaissent leur nid, retournent à d’anciens « patch » de nourriture etc… (on parle de patch, excusez l’anglicisme, quand la nourriture n’est pas uniformément répartie dans l’espace, mais concentrée à certains endroits, ce qui est très souvent le cas).
A l’intérieur du patch, elles ne se déplacent pas forcément au hasard non plus : elles vont de votre bout de saucisson à vos pelures de pêche, rendent visite à cette fameuse tarte au pomme, s’en vont voler un peu plus loin avant de revenir se poser sur la tarte. Là, elles en découpent des petits morceaux (les voleuses !). Tout se passe comme si elles avaient échantillonné le patch complet, pour estimer les zones les plus profitables, et faire ensuite leur choix. Mais je vous invite à vérifier ces observations par vous-mêmes!
De même, vous pouvez observer facilement comment les abeilles passent d’une fleur à l’autre pour butiner : si elles ne repassent que rarement sur une fleur qu’elles viennent de visiter, elles semblent souvent commencer de façon méthodique, explorer les fleurs à proximité immédiate, mais s’interrompent avant la fin pour aller plus loin et recommencer…
On pourrait théoriquement imaginer, mathématiquement, les stratégies optimales de recherche et exploitation de nourriture, quand celle-ci varie en quantité ou qualité selon les endroits. Selon la distance entre 2 sources de nourriture, leurs qualités respectives, le fait que vous soyez déjà venu dans ce secteur ou non, etc… il est possible de calculer combien de temps rester sur une fleur avant d’en changer, combien de temps passer dans un groupe de fleurs avant de passer à un autre, ou bien encore combien de temps consacrer à l’exploration, à la collecte d’information (« l’échantillonage ») avant de vraiment se mettre à table. Pour ensuite voir si les abeilles ou guêpes s’y conforment. Je vous l’accorde, ce type de calcul est un peu fastidieux à faire pour un pique-nique en famille…
Évidemment, cette théorie (« optimal foraging theory » pour les anglophones) ne s’applique pas qu’aux abeilles et guêpes, mais à la plupart des animaux, avec des variantes. Voyez ce que ces minuscules insectes, au « cerveau » si petit, sont capables de faire, alors imaginez les possibilités chez une vache!
Non? Vous n’êtes pas émerveillé de l’intelligence en puissance de nos ruminants préférés ? Ces capacités vont fortement dépendre en effet du mode de vie, du type de nourriture (par exemple si elle est distribuée en patch ou de façon plus continue), et pas simplement de la taille du cerveau ! Je ne saurai pas vous dire si les abeilles sont plus intelligentes que les vaches (peut-être sont-elles néanmoins moins distraites par les trains), mais elles sont bien pratiques à observer : sortez dehors, installez-vous dans un pré plein de fleurs, sortez un sandwich, et attendez qu’elles arrivent enfin !
Chouette =)