Couleurs d’automne

A l’automne, les feuillus se préparent pour un long sommeil dans une dernière débauche de couleurs. (crédit photo : Julie)
Certaines choses nous sont tellement familières que l’on ne se rend pas compte à quel point elles sont curieuses… Chaque année, à l’automne, les arbres perdent leur couleur verte, se parent de magnifiques teintes jaunes et rouges puis se défeuillent et couvrent le sol d’une épaisse litière brune. Tout cela paraît parfaitement banal. Les réactions vont de la lassitude pour les services municipaux à l’émerveillement pour le promeneur du dimanche, mais jamais personne ne s’en étonne. Le saule s’est donc posé certaines questions à votre place et vous propose en conséquence cet article : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’automne sans jamais avoir pensé à le demander !
Première question :
Si je vous dis que les arbres à feuilles caduques de nos régions perdent leurs feuilles en prévision de l’hiver afin de passer la mauvaise saison en vie ralentie vous ne serez certainement pas surpris. Lorsque l’on parle d’hibernation tout le monde pense en premier à la marmotte ou à l’ours (ou aux carabes!), pour autant le fait que les arbres utilisent une stratégie similaire est un secret de polichinelle. En revanche, vous êtes-vous déjà demandé ce qui déclenchait en même temps la perte des feuilles et l’entrée en vie ralentie chez tous ces arbres ? Le premier candidat auquel on pense est bien évidemment le froid. Pourtant certaines années les automnes sont plus doux ou au contraire les gelées plus précoces, or quoi qu’il arrive, à la même période, les forêts de feuillus se déshabillent et s’endorment… étrange non ?

Qu’est ce qui provoque chaque année à la même période cette transformation radicale ? (crédit photo : Julien C)
Et pour cause le froid n’est pas seul en cause. L’un des facteurs qui déclenche l’entrée en vie ralentie est la durée du jour ! Chaque année, à partir du 21 juin, la durée quotidienne d’ensoleillement diminue petit à petit jusqu’à atteindre un minimum au 21 décembre. Les plantes possèdent la faculté de percevoir ce paramètre complètement indépendant des aléas du climat et qui permet de prévoir avec certitude l’imminence de l’hiver. En automne lorsque les jours atteignent une durée critique, des mécanismes sont activés et les arbres se préparent à un long sommeil.
Deuxième question :
Pourquoi les feuilles deviennent-elles jaunes ou rouges ?
On pense souvent que si les feuilles jaunissent en automne c’est parce que la chlorophylle disparaît et qu’ainsi elle ne masque plus les pigments carotènes jaunes contenus avec elle dans les chloroplastes (ces compartiments des cellules végétales où a lieu la photosynthèse). Mais cette explication est incomplète ! Pour vous en convaincre observez une endive.

Une endive est une chicorée dont les feuilles n’ont plus de chlorophylle, elle est bien un peu jaune à cause des pigments carotènes mais rien de comparable avec une belle feuille d’automne.
Il est vrai qu’avant de perdre leurs feuilles, les arbres cessent de synthétiser de la chlorophylle. La chlorophylle, c’est ce pigment vert qui leur permet de transformer l’énergie de la lumière et le dioxyde de carbone de l’atmosphère en matière organique. Il se passe exactement le même phénomène lorsqu’une plante est privée de lumière pendant longtemps. C’est de cette manière qu’on obtient une endive blanche à partir de la chicorée qui est verte. Ces deux légumes ne sont qu’une seule et même plante ! Or une endive qui ne contient plus de chlorophylle est bien blanche, et vaguement jaunâtre à cause des pigments carotènes. Cependant, elle n’a rien en commun avec les superbes feuilles jaune vif ou rouge éclatant !

La couleur de ces feuilles jaune or n’a rien en commun avec celle d’une endive. (crédit photo : Julie)
Une seule déduction s’impose alors. En automnes les arbres cessent de fabriquer de la chlorophylle mais accumulent aussi dans leurs feuilles d’autres pigments (des anthocyanes).
Troisième (et dernière) question :
Pourquoi les belles couleurs de l’automne disparaissent-elles aussi vite pour se fondre dans un marron uniforme ?
Pour répondre à cette question je vous propose de réaliser une petite expérience lors de votre prochaine balade en forêt. Prenez une feuille encore verte, goûtez-en un morceau, mâchez-le un moment puis recrachez. Normalement la feuille a un goût fade de salade verte coriace et non assaisonnée. Faites ensuite la même chose avec une feuille bien marron. Là encore rien de particulier, la feuille est un peu plus sèche et coriace tout au plus. Enfin, goûtez et mâchez une feuille rouge ou jaune vif. Que se passe-t-il ? Vous grimacez, le goût est désagréable et votre langue devient sèche et pâteuse un peu comme si elle s’était changée en carton… Pas de panique, vous ne risquez rien, ce n’est pas toxique ! Cette sensation désagréable disparaîtra bien vite.
Que s’est-il passé ? Vous venez de mettre en évidence que les pigments anthocyanes produits par les arbres à l’automne sont des tanins. Les amateurs de vins ou de thé auront peut être reconnu la sensation si particulière que produit leur ingestion. Je m’explique : les tanins sont des molécules qui possèdent la propriété de se lier avec tout et n’importe quoi. Dans les cellules des feuilles, ils sont isolés, pour ne pas entraver le bon fonctionnement des tissus de la plante. Lorsque vous mastiquez, vous libérez ces tanins qui vont alors se lier avec les protéines de votre salive qui ne pourront plus jouer leur rôle de lubrifiant dans votre bouche, d’où cet effet de sécheresse.

Quelles que soient leurs nuances de jaune ou de rouge à l’origine, toutes les feuilles finissent brunes. (crédit photo : Julien C)
Quel rapport me direz-vous, avec la disparition des belles couleurs de l’automne ? Le voici : Avant de tomber, les feuilles et donc les cellules qu’elles contiennent meurent. Le contenu des réservoirs d’eau où les tanins se trouvaient à l’isolement se trouve alors déversé à l’intérieur des cellules. En bon tanins fidèles à leur nature, ils vont donc se lier avec toutes les molécules qui passent à leur portée. C’est pour cette raison que lorsque vous avez goûté la feuille marron il n’y avait pas d’effet de sécheresse. Les tanins étaient bien présents mais ils étaient déjà liés et ne pouvaient donc pas interagir avec les molécules de votre bouche. Ces agrégats hétéroclites de molécules en tout genre liés par des tanins sont appelés des pigments bruns, ce sont eux qui donnent cette couleur uniforme aux feuilles mortes, quelle que soit leur couleur d’origine.

(A gauche) En superposant des couleurs pêle-mêle on obtient rapidement du marron. (A droite) Les tanins qui sont déjà eux-mêmes des pigments anthocyanes (rouges ou jaunes) s’agrègent avec d’autres molécules au hasard pour former des pigments bruns.
Pour comprendre comment cela est possible il faut faire un petit détour par la physique. La lumière du soleil est une lumière dite blanche. Elle est un mélange de lumières de toutes les couleurs. Un pigment est une molécule qui absorbe sélectivement certaines couleurs de lumières mais pas d’autres. Ainsi, la chlorophylle verte n’absorbe pas la lumière verte et un pigment anthocyane rouge n’absorbe pas la lumière rouge. Lorsque les pigments anthocyanes libérés dans les cellules vont se lier avec d’autres molécules qui elles aussi peuvent absorber certaines couleurs, ils vont former des agrégats qui vont absorber de plus en plus de lumières différentes. Si vous mélangez sur une palette de peinture des couleurs au petit bonheur la chance vous obtiendrez rapidement du marron. Voilà pourquoi on nomme ces gros agrégats formés par les tanins des pigments bruns et pourquoi toutes les feuilles mortes sont uniformément brunes (ou presque).
Cet article a été écrit à partir d’une idée originale de Marc-André Sélosse.